Sollicité par Tièndja’pou Frédéric NGANSOP NONO, Membre de la Commission de Communication et TIC du Festival MACABO BANGOUA 2019, j’ai accepté d’initier cet article nécessaire non seulement en prélude à l’organisation du Festival MACABO 2019, mais aussi et surtout parce que l’année en cours est celle du NKAK à BANGOUA, Royaume de SM DJAMPOU TCHATCHOUANG Anick Julio. C’est avec enthousiasme que je me suis engagé dans cet exercice pour l’information des filles et fils Bangoua, mais également pour enrichir mes petites connaissances en la matière.
I – GENERALITES
A – Quelques explications pour fixer les idées
Le Nkak est défini par certains auteurs comme un substrat religieux et magique. Pour qu’on soit sur la même longueur d’onde, j’ai pensé qu’il fallait apporter une explication à substrat, magie et religion en consultant le dictionnaire français ENCATA.
SUBSTRAT : Fondement qui sert de base (à quelque chose).
MAGIE : 1 – Savoir qui permettrait par des procédés secrets et la maitrise des forces occultes d’obtenir des effets ne relevant pas d’une explication rationnelle.
2 – Savoir- faire qui permet de réaliser des tours dont l’explication rationnelle échappe au public.
RELIGION : croyance en une force ou des forces surnaturelles souveraines perpétuées par un ensemble de rites et des dogmes.
On adhère à un culte, à ses rites et à ses dogmes. Par exemple les dogmes font que : un musulman quand il entre à la mosquée se déchausse, le juif se coiffe quand il entre à la synagogue, le chrétien se décoiffe quand il entre à l’église…
B – La philosophie du Nkak à Bangoua
Comme sus dit, le NKAK est assimilé, par certains à une religion chez les Bamiléké. A ce sujet l’auteur qui, à notre avis, a restitué au mieux la sensibilité religieuse Bamiléké est A Le roi Bourhan qui considère la religion comme « un système organisé de mythes et de rites destinés à établir d’une manière permanente des relations entre l’homme et les puissances de l’invisible (ancêtres et esprits) dans l’intérêt de la communauté. » ([1])
Cette définition a l’avantage d’être neutre car ne porte aucun jugement de valeur ni sur la nature des mythes, ni sur celles des rites. Le plus important est la symbiose permanente entre l’homme et son environnement dans l’intérêt de la communauté. La religion cesse d’être abstraite pour devenir fonctionnelle. Pas de promesse d’une vie éternelle après un jugement.
Dans ces conditions, l’éthique religieuse s’apprécie non plus en absolu, mais par rapport à l’équilibre global du système.
Il devient alors possible de faire cohabiter dans un même espace les bons dieux (schi mbepouong) et mauvais dieux (schi tchou pouong). Le guérisseur travaille avec les détenteurs de totems quand il n’en possède pas lui-même. Les vampires et les génies sont tolérés parce qu’ils assurent une fonction sociale.
Dans ce contexte, on est tenté de dire que la gestion de la cité ne peut être que le management de la magie et des dieux. C’est donc à dessein que le Bamiléké en général et le Bangoua en particulier, utilise le mot « NKAK » pour désigner les forces vivifiantes du cosmos, la puissance curative des guérisseurs, le don destructeur des sorciers. Comme en science atomique la même matière permet de produire l’électricité pour les ménages et la bombe atomique pour les armées. En fait le NKAK est la religion du peuple Bamiléké dont quelques articulations sont relevées ci-dessous.
II- LES ARTICULATIONS DU « NKAK »
Il faut remonter à la division du temps pour mieux fixer les esprits sur le déroulement du NKAK à Bangoua. Certains écrits ont souvent tenté à vouloir faire correspondre la division du temps dans notre village, au calendrier gréco-romain qui s’adosse sur douze mois. Or à Bangoua l’année est divisée en deux temps forts :
- La saison des pluies (nzoueh Nsooh) d’avril à octobre et
- La saison sèche (nzoueuh nlep) du mois de novembre à mars.
Ces deux grandes saisons se subdivisent en quatre périodes définies selon le calendrier agricole :
a/ Nkah- ngnieuh : Il s’agit ici de débroussailler les herbes et de les ranger dans les sillons prêts à recevoir la terre au moment des labours (début saison sèche).
b/ Ndjuih-nzoueuh : Période réservée aux semailles (fin saison sèche).
Avant les semailles se pratiquait un rite consistant à purifier la terre nourricière par des décoctions remplies dans un canari comportant : tourbe noire récoltée au fond d’un marigot à laquelle étaient mélangées quelques plantes connues pour leur qualité sédatives. ([2]) Les guérisseurs ou sorciers (Ngnwaa nkak) de chaque quartier, tard dans la nuit, trempaient les branches de l’arbre de paix (Fee kiok) dans le canari et frappaient la terre le long du chemin et sur les carrefours de leur quartier en disant « d’ici ne sortira plus la mauvaise chose ». Le lendemain les habitants étaient rassurés que la pluie qui féconde le sol ne tarderait pas à venir et que les semences germeraient bien.
c/ Nzoueh tchoueuh : période de soudure caractérisée par la rareté de la nourriture (début saison des pluies).
d/Tchouoh nzoueuh : période des récoltes (fin saisons des pluies). Cette période comportait aussi des manifestations.
Les réjouissances accueillaient les récoltes aux mois d’août et septembre. Les habitants des quartiers se réunissaient chez un notable pour danser le Metche. L’une des rares danses où hommes et femmes formaient des couples.
Il arrivait que les meilleurs danseurs, en fin de soirée, proposent à leurs partenaires de les rejoindre dans leur case.
C’était l’occasion rêvée pour les femmes mal entretenues par leur mari (surtout les femmes sans enfant) de changer de domicile. Il convient toutefois de signaler que la liberté de choix, contraire aux règles morales matrimoniales en usage à Bangoua, était acceptée à cette occasion ([3]). Cette danse qui a disparu du répertoire Bangoua se dansait de la manière suivante : les hommes et les femmes s’enduisaient d’huile de palme mélangée à la poudre rouge (Mpweuh) et se plaçaient face à face sur deux lignes qui s’éloignaient et se rapprochaient au cours de la danse.
Ce rituel de fécondité et de la fête des récoltes ponctuait le cycle annuel du village et se célébrait sans intervention directe de la chefferie. A cette première division du temps contrôlée par le peuple, s’adossant sur un ordre naturel, se superposait un cycle bisannuel fondé sur la différence des sexes et contrôlé par la chefferie. Il s’agit de l’année du NKak (Ngou Nkak) et de l’année du Djack (Ngou djack).
Le Ngou Nkak était réservé à l’intégration des garçons dans la classe des adultes et le Ngou djack à celle des filles.
On comprend aisément que les rites de Nkak et de Djack n’ont aucun lien avec les rites d’initiation dans la mesure où il n’existe pas une structure en charge de révéler un quelconque mystère à des cadets quelque part. Le Ntè Nkak chez qui se rendent les jeunes appelés à danser le Nkak n’a aucune initiation mystique à leur réserver. Toutefois, dans le temps, aucun jeune ne pouvait se marier sans danser le Nkak pour les garçons ou passer dans le Djack pour les filles.
NGOU NKAK (l’année du NKAK)
Très souvent nous ne retenons que le côté festif de l’année du Nkak, alors que c’est une année de purification et de régénération mystique, une sorte de concentration et de prières. Pendant cette période qui dure neuf semaines à Bangoua et pour que le village puisse être régénéré par le Nkak, tout tourne au ralenti. Ainsi, sont suspendus : les mariages, les lamentations, les labours avec la houes, et prendre les dieux à témoins pour les jugements (Schi Jeuh).
La grande messe du Nkak
Le début et la fin de l’année du Nkak sont marqués par la cérémonie de la montée et de la descente du Nkak du bois sacré (Mvieuh-Tchip). Ce bois sacré, selon Kamga Léon est un véritable tabernacle du souffle divin nécessaire à la purification et à la revivification bisannuelle des hommes et de leur environnement. ([4])
Pour ce faire et puisqu’il s’agit de s’adresser à Dieu, Bangoua possède une lignée de prêtres chargée de ces cérémonies qui sont :
1 – Woué-fo Keleu, membre des sept notables et coopté dans le cercle par le Chef Sopiè ;
2 – Woue-Fo Nkoumkap, membre des sept et coopté par le Chef Ndjack-Mpou ;
3 – Mbeuh Kapjip, membre des sept et coopté par le Chef Djack-Mpou ;
4 – Nzeu-Tchip, coopté dans le cercle par le Chef Ndio-Nlah ;
5 – Mbeuh Tefeuk, coopté par le Chef Njop-Nwouo ;
6 – Tè Nono coopté par le Chef Njop-Nwouo ;
7 – Tè fo Daggoung, notable dont la concession héberge le NLa-Kwack
8 – Tè-Woué-Nla (Tè-mpouoh- le sacrificateur-).
Si les fêtes liées aux récoltes sont organisées dans les quartiers sans grand lien avec la chefferie, celles du Nkak et du Djack n’échappent pas à cette dernière.
Les cérémonies du Nkak sont intimement liées à la chefferie. Des huit pères du Nkak, sept sont de la famille royale ; donc le Nkak est d’abord une affaire de la chefferie avant d’être celle du pays, étant donné que Mvieuh-Tchip où l’on va chercher son souffle est l’ancien demeure des anciens chefs dont particulièrement Lekemegne. Te woué-Nlah qui ne fait pas partie de la famille royale n’en demeure pas moins un fidèle serviteur du chef.
Rôle de Tè-Woué-Nla (Tè-mpouoh) dans la montée du Nkak
Comme signalé plus haut, l’année du Nkak commence avec la période de soudure (Nzouoh Tchoueuh). Au début, Tè-Mpouoh dépose sous un arbre sacré de la chefferie de haricots cuits mélangés à l’huile de palme pour que la terre-dieu (Schi-tchaa) libère une force bénéfique appelée Nkak.
Rôle du chef et des pères de Nkak
Après le travail effectué par Tè-mpouoh sous l’arbre sacré « là où sort le Nkak », le Chef et les pères de Nkak (tè Nkak) réitèrent ce sacrifice à Vieuh-Tchip. Là, au pied d’un arbre sacré, ils déposent de la nourriture et un tambour mâle (tap) que transporte Nzeu-Tchip. Il convient de signaler que cette description du voyage à Mvieuh-Tchip n’est que la partie visible de l’iceberg. Cette visite dans ce lieu ne doit être vécue que par les initiés.
Il se raconte que dans le village Bandjoun un curieux se croyant très malin s’était caché dans une botte de paille pour voir ce qui se passait dans le cortège du Nkak qui se rendait dans la forêt sacrée. Malheureusement, il ne put raconter son aventure à personne puisqu’une meute de fourmis magnant lui asséna des morsures qui l’entrainèrent dans le trépas.
Sur le chemin du retour, le règlement interdit au Chef et aux pères de Nkak de se retourner pour scruter ce qui se passe derrière.
Alors ils entendent le dieu du village frapper sur le tambour pour faire savoir qu’il accepte de faire sortir le souffle du Nkak de la terre. Nzeu-tchip par la suite va récupérer le tambour et le rapporte sur la place de la chefferie pour qu’il serve le lendemain à la danse du Nkak.
Le baptême des jeunes
Comme dans les autres religions la participation au Nkak se prépare et se mérite. Les adolescents sont à l’honneur, puisque par le biais du Nkak, ils viennent renouveler la société des adultes. Ils prennent généralement part à la réunion Ma’a nkeueuh siégeant chez le chef de quartier ; une sorte de pépinière du Mieuh-ndjouok.
Les garçons ayant atteint l’âge de dix, la tête rasée, au 2ème jour de chaque semaine du Nkak, se rendent par petits groupes de 7 à 8 chez l’un des pères de Nkak ayant accompagné le chef à Mvieuh-Tchip. Ils s’y rendent chacun avec une boule de taro (Poo), 05 paquets de graines de courge (Djeuh) et 04 paquets de gâteau de haricot (Kekieuh).
La boule de taro était placée sous l’échelle (Tschou–kouoh) à l’entrée de la concession du père de Nkak (Ntè-Nkak). Les jeunes après ce dépôt vont dormir dans une case avec la porte ouverte. A l’aube, ils vont récupérer leurs boules de taro sous l’échelle ([5]) imprégnée de Nkak et la remettaient au Ntè-Nkak qui se chargeait de leur faire « goûter pour la première fois ». Je vous épargne des détails. Tout cela était accompagné du vin de palme auquel étaient mélangés le Ndedip et le kaolin (Mbip).
La boisson leur était servie dans une corne d’antilope, cet animal qui vit en groupe symbolise la vie en société.
Ce service constituait l’acte de ce qu’on appelle « Tchoube » c’est-à-dire goûter pour la première fois. Dès qu’un enfant avait bu le Nkak, il n’était plus « Kouok Nkak » (esclave du Nkak), mais devenait « Wouoh Nkak » (l’enfant du Nkak) comme ses ainés. Après cette cérémonie, l’enfant rentré chez eux le soir n’avait plus le droit de coucher dans la chambre de sa mère sauf si cette dernière est mère de jumeaux (Megne) ayant dansé le Nkak comme lui.
Il était interdit à l’homme ou à la femme ayant dansé le Nkak dans la journée d’avoir des relations sexuelles le soir venu.
Avant de danser le Nkak, les enfants ayant goûté pour la première fois la nourriture du pays se faisaient beaux. Ils se lavaient, s’enduisaient avec la poudre rouge (Mpheuf), s’ornaient de quelques taches blanches de kaolin (Mbip), attachaient autour de leurs reins un pagne en fibre de raphia (Fiii) et prenaient dans les mains les cornes d’une antilope (la rareté des cornes d’antilope font que les danseurs utilisent actuellement des triangles en bois) qui est connue pour vivre en groupe. Les jeunes danseurs, unis entre eux comme les antilopes se rassemblent sur la grande place de la chefferie en chantant : « Les dépendants du Nkak ont mangé le taro et bu du vin de palme ; malheur à ceux qui n’ont pas pris le Nkak » (Nkwouoh Nkak nzeuh mpooh ngnouh naah…).
Ils rejoignent les membres de l’association secrète dont c’était le tour de danse (cf calendrier du NKAK publié par la Commission de la Communication du MACABO).
Les tours de la danse de Nkak
Généralement la 1ère semaine du Nkak est réservée aux mères des jumeaux et la dernière semaine à la danse du Ndzou. Seuls les notables initiés avaient le droit de prendre part à cette danse majestueuse et noble qui rappelle de par son accoutrement les éléphants. La veille, la famille Sa’a Mefe de Tschou-Ngouok et de Tchieuh Ngnwouh-Nguep de Nla-Ngoui devraient avoir dansé le Tchilla qui consiste à se promener le soir venu dans les quartiers du village en frappant bruyamment de petits tambours portatifs (Lambiè).
Les tours de Nkak s’établissaient comme suit en 1948 :
1ère semaine : Les mères des jumeaux (Megne) ;
2ème semaine : Le Kep meloo ndjou ;
3ème semaine : Le Kouoh-schi ;
4ème semaine : Le Kop Ze-Ze ;
5ème semaine : Le Kan-Ndep ;
6ème semaine : Le Ndip-Nkep ;
7ème semaine : Le Mpeh-nguep ;
8ème semaine : Le Tchè-ntook ;
9ème semaine : La danse du Dzouh ([6]).
LE NKAK MYTIQUE
C’est ici qu’interviennent les Ngwaac-kak – pluriel- (Ngak-kak- singulier-), les hommes ayant reçu le Nkak mystique.
Vers le début de la colonisation on rencontrait de puissants guérisseurs tels que : Nze nkioh, Nze ntiékap, Megne-djack-fack, Ntié-sa-gack, Megne-nack, Nze-soup-ndop…. C’est un sujet à traiter prochainement…
Wembo Mbeu’Ngouok Dr DJOUONANG Lucas,
Président de la Commission des Affaires Traditionnelles, Animations Culturelles et Danses, Festival MACABO BANGOUA 2019.
([1]) Cf Kamga L. : La’a kam ou guide initiatique au savoir être et au savoir vivre Bamiléké, éd. 2008. P. 36
([2]) Substance ou technique thérapeutique permettant à réduire l’anxiété, d’atténuer la douleur ou de lutter contre l’insomnie.
[3] C.H.PRADELLES de LATOUR in « Le Champ du Langage dans une Chefferie Bamiléké » p.65. Paris- février 1986
[4] L. KAMGA : La’akam ou le guide au avoir être et au savoir vivre Bamiléké. Edition 2008
([5]) Pour protéger les cultures contre les bêtes domestiques, chaque chef de famille dressait une haie végétative non seulement autour de sa concession, mais aussi construisait un chemin conduisant les animaux domestiques au pâturage. Partout où il y avait un chemin une échelle (Tchouh-nkouoh) était dressée des deux côtés de la barrière. Il fallait traverser cette échelle pour continuer son chemin.